

Okimi
Il fut un temps où la lumière baignait la vallée de Kost'hale, terre fertile et préservée, berceau de la puissante famille Octavius. Mais nul héritage n’est éternel, et le leur fut souillé par la folie d’un ancêtre avide de conquêtes, qui osa défier l'équilibre des cieux. Une divinité offensée posa alors sa sentence : tous les cinquante ans, des jumeaux naîtraient. L’un incarnerait l’amour. L’autre, la destruction.
Lorsque Okimi vint au monde, un cri fendit la nuit, et un second le suivit : elle n'était pas seule. Elle avait une sœur, Cathalina. Mais la tradition voulait que l’un des deux enfants meure pour préserver la lignée. Le cœur trop tendre de leurs parents ne put trancher : Cathalina fut exilée en secret. Okimi grandit, ignorante de son double disparu, dans le luxe et l’harmonie, portée par une grâce naturelle qui enchantait tous ceux qui l’approchaient.
Mais le bonheur est fragile. Et le destin, fidèle à sa cruauté, réclama son dû.
Un jour d’été, leur demeure fut dévorée par les flammes. Le feu consuma les murs, les souvenirs, les corps. Okimi seule survécut. Brûlée, brisée, orpheline. Elle chanta dans les rues, survécut dans la crasse et la solitude, tenant à peine debout, mais le regard fier. Elle n’attendait plus rien.
Jusqu’au jour où Cathalina réapparut.
Leurs retrouvailles furent un éclair dans la nuit. Une paix douce, fragile. Ensemble, elles retournèrent sur les terres de leur enfance… et disparurent.



La Terre

Lorsqu’Okimi rouvrit les yeux, elle était ailleurs. Seule. Dans un monde étrange, froid, bruyant.
Et quelque chose en elle avait changé.
Elle ne vieillissait plus.
Son sang... réagissait.
Il brûlait, chantait, murmurait des noms qu’elle ne connaissait pas.
Elle ressentait une soif nouvelle — non pas que de chair, ni de sang étranger, mais de réponses.
À chaque blessure, chaque émotion trop vive, son propre sang se rebellait, la tourmentant d’images anciennes, d’échos du passé, de douleurs qu’elle n’avait jamais vécues. Ou pas encore.
Elle était devenue immortelle, et son sang portait les cicatrices d’un millénaire de souffrance passée et à venir.
Elle se terra dans les forêts du Nord. Là, à l’abri des regards, elle fit bâtir un manoir. Un sanctuaire. Une promesse.
Elle y recueillit des créatures égarées, des êtres entre deux mondes, comme elle. Pendant des années, Okimi fut leur gardienne, leur protectrice. Son regard était doux, et ses gestes pleins de grâce.
On disait qu’elle ne dormait jamais. Qu’elle connaissait tous les noms des morts.
Jusqu’au jour où un humain franchit ses barrières : Adrien. Perdu. Étrangement sincère. Elle l’aida. Il resta. Et ils s’aimèrent. Follement. Assez pour briser le silence, assez pour se marier et donner la vie. Elle croyait au miracle.
Mais Adrien la trahit. Il disparut. Ne laissant derrière lui qu’un enfant... et une alliance.
Okimi changea. Plus mélancolique, plus distante. Elle se consacra à sa fille, unique vestige d’un bonheur éphémère. Mais la flamme qui l’animait s’éteignait, jour après jour.
Et puis… Lucas.
Un immortel. Un homme au regard d’émeraude. Porté par une force tranquille et un tigre blanc à ses côtés. Il n’était pas comme les autres. Il ne voulait pas la sauver. Il voulait juste… l’aimer telle qu’elle était.
Le lien entre eux se tissa lentement, au fil des nuits silencieuses, des mains effleurées, des regards retenus. Il lui proposa un avenir ailleurs. Alors elle le suivit à Londres.
Mais la malédiction ne l’oublia pas.
Lucas disparut à son tour, laissant Okimi, une fois encore, dans une maison vide. L’amour s’en va. L’immortalité, elle, reste.






Aujourd’hui, Okimi erre dans les couloirs d’un nouveau manoir. Loin de chez elle, loin des promesses brisées. Son sang murmure toujours. Elle n’est pas morte. Elle ne vit pas non plus. Elle est figée dans le temps, gardienne d’un passé qu’elle n’a jamais choisi, mais dont elle porte le fardeau.
Son regard est éteint, mais beau.
Sa voix est douce, mais brisée.
Elle est la mémoire d’un monde oublié, la malédiction incarnée,
et parfois, quand la lune est pleine et que le vent s’arrête,
on dit qu’on peut entendre son chant…